Jeux de casino : des machines à fabriquer du rêve

La soumission à la machine est l’une des caractéristiques qui semble s’être affirmée de plus en plus dans nos sociétés industrielles. Elle est par ailleurs lourdement critiquée par l’auteur Clouscard Michel dans son livre Le capitalisme de la séduction. Il y dénonce cette société de la consommation qui a pour but premier de gagner du temps de loisirs. Sur un aspect de son analyse, en effet, une partie des machines sont devenues des adversaires de la productivité, capitalisant sur l’attention du consommateur. Cette situation suscite beaucoup d’interrogations et est discutée non seulement en économie, mais également dans le monde du travail. Cet article met en lumière les conséquences du machinisme sur la productivité et notre relation au temps et au travail, dans notre quotidien. Nous ferons également un détour par l’industrie des jeux et des casinos pour nourrir nos réfléxions.

Des machines contre la productivité

La machine est le cœur du capitalisme. Depuis la révolution industrielle, elle n’a cessé d’accroître son importance dans l’agriculture, l’industrie et le commerce. En se substituant à l’homme dans nombre de secteurs, la machine est au même titre que le capital, le facteur de production le plus influent de la société industrielle. Une influence qui au fil des décennies n’admet tout simplement pas de limites. On se souvient que le critère de la pénibilité a souvent été invoqué pour supprimer des quantités d’emplois et les remplacer par des machines ou des robots (guichet d’autoroute, chaîne de production industrielle, etc.). De l’exode rurale des campagnes vers les villes de la révolution industrielle, pour finalement arriver à la désindustrialisation et la mondialisation, le capitalisme a suivi sa marche pour bien, souvent, laisser sur le carreau les mains d’œuvres les moins qualifiées.

Aujourd’hui, une phénomène intéressant est à l’œuvre toutefois. Après avoir conquis l’industrie et bien d’autres secteurs, les machines continuent leur avancée directement sur les consommateurs. De ce point de vue, la démocratisation du téléphone portable et de l’internet dans la seconde moitié du 20e siècle a ouvert une nouvelle ère du progrès technologique. Des outils-machines aux performances améliorées voient le jour et subjuguent le public. D’outil pour mettre les hommes en relation, le smartphone devient une machine à divertir à part entière. Les applications viennent suppléer aux fonctions cérébrales et la machine devient le capteur principal d’attention avec ses algorithmes savants et ses promesses de communication, de divertissement, sa volonté affichée d’accaparer sans fin toute l’attention du consommateurs, y compris sur des terrains ou des tranches auparavant réservées au champ professionnel et aux heures du travail.

Aujourd’hui ses technologies sont si puissantes qu’elles se distribuent d’elles-mêmes. Vous trouverez des smartphones dernier cri dans les coins les plus reculés du monde, sans même qu’il y ait eu besoin d’en faire la publicité. Ces technologies ont tant d’attrait qu’elles se viralisent de manière presque intrinsèque. Bien sûr, leur succès excite toutes les convoitises. L’usage entraîne l’excès d’usage et avec lui tout le marché. L’emballement suscité par ces machines avancées entraîne l’apparition de plusieurs nouveaux fabricants. Une ruée vers l’or qui n’est pas sans conséquence pour le consommateur. Ses habitudes s’en trouvent bouleversées. Il n’arrive plus à se retrouver entre cette surabondance d’applications, de réseaux sociaux et de jeux. Toujours plus d’attention à perdre ou à donner.

Désormais, la monnaie de la pièce se fait sentir sur le terrain du productivisme. Avec 67 % (5,3 milliards de personnes) de la population mondiale utilisant au moins un téléphone portable, ce sont les secteurs d’activité encore très dépendante de la main-d’œuvre qui souffrent d’une perte de productivité. Ces appareils électroniques sont une source permanente de distraction au travail, divertissant plus leurs utilisateurs qu’ils ne les aident à améliorer leur activité. Un gaspillage de temps sur lequel capitalisent les fabricants du marché très attractif des machines téléphoniques et des applications et qui n’est pas du goût de tous les capitalistes en attente de productivité.

Jeux de casinos : des machines à produire des gains sans travail

Une particularité du capitalisme est de réussir à faire miroiter des opportunités de gains illimités pour tous. Inutile de rappeler que ce système repose sur une perversion idéologique hautement créatrice de dépendance : l’accumulation de richesses et la consommation outrancière comme objectif ultime de la vie. Nourrie de cette idée devenue obsession depuis de nombreuses décennies, la civilisation industrielle en est arrivée à ériger la production de gains comme une simple norme sociale.

Mais quand les richesses peinent à se partager et que tous ne peuvent tirer leur épingle du jeu, d’autre solutions viennent y suppléer. Une production de gains ne serait elle pas encore meilleure si elle pouvait être réalisée sans travail ? C’est en tout cas le modèle que défend la finance spéculative. Ces dernières années, l’intérêt général en faveur des marchés financiers est très significatif en la matière. La valeur travail moins rétributive que la valeur financière ? Cela semble avoir été compris d’une partie des américains qui investit de plus en plus dans la finance et la spéculation que dans le temps travail. En quelque sorte, il vaut mieux faire travailler l’argent que travailler soi-même.

Une autre industrie semble, aujourd’hui, porter haut l’idée de la production de gains sans travail. Il s’agit, bien sûr, de l’industrie des jeux d’argent et de hasard. D’une certaine façon, elle est dans son temps et même de plus en plus. Elle est même, tout à fait, à sa place dans des sociétés qui mettent le gain au centre de tous leurs systèmes de valeur, de réussite, et de félicité terrestre. En réalité, l’hypocrisie serait plutôt de prétendre condamner comme immoral, les jeux de casinos ou les jeux de hasard dans une société hyper financiarisée du quitte ou double permanent.

Alors, miser une certaine somme d’argent pour pouvoir remporter une grosse récompense, c’est une idée qui s’est toujours très bien vendue. De tout temps, des gens de toute classe et plus encore des classes moyennes et populaires ont rêvé de pouvoir, un jour, devenir millionnaires grâce à un jeu d’argent. C’est logique quand on est bombardé de tentations d’achat, de dépenses, et de consommation toute la journée. En France uniquement, on compte au moins 25 millions de joueurs de jeux d’argent. Machine à sous, pokers et roulettes sont les principales attractions des établissements de jeux et des casinos standards, mais à tout cela, il faut ajouter les paris sportifs, les tickets à gratter, les lotos et leur tirage mécanique aléatoire.

On le note aussi, l’introduction de la machine dans les jeux d’argent et de hasard n’a fait que conforter l’ascension de l’industrie. Jeux individuels à l’image des flippers ou des jeux vidéo d’arcade d’antan, les machines à sous ou les vidéo-pokers sont devenus de véritables phares des casinos. On y joue à son rythme, avec ses jetons, seule face à sa propre chance et les jackpots peuvent atteindre des montants vertigineux. D’ailleurs, les colonnes des journaux sont pleines d’histoires de « success story » du genre « il met une pièce dans une machine à sous et il ressort millionnaire, une heure plus tard ». Dans le même esprit, les casinos traditionnels affichent, de plus en plus, les jackpots reversés de la semaine ou du mois pour faire rêver leurs clients et certains casinos en ligne suivent, aussi, le mouvement. Alors comment ne pas se laisser aller, à son tour, à rêver ? Au fond, c’est toujours le même idéal, celui du capitalisme. Il n’a rien d’incompatible. Il présente, simplement un moyen différent et plus aléatoire de l’atteindre, pas par l’héritage, pas par la propriété, pas par l’investissement financier sur le travail des autres, par l’arbitraire. Est-on si loin de la réalité du capitalisme ?

Pour boucler la boucle, avec l’arrivée d’internet, toutes ces machines et ces jeux de casinos se sont aussi virtualisées et informatisées : des machines à sous dans des machines à téléphoner, des machines à sous dans des ordinateurs. Même les roulettes, les black jacks ou les pokers sont désormais accessibles via les canaux numériques. Avec de tels jeux de hasard, les machines promettent de produire toujours plus de temps de loisir, toujours plus de rétention de l’attention du consommateur. Des machines à vendre du rêve et à en acheter.